Développement durable: capitalisme de l’hypocrisie et aveuglement volontaire

“Buzzwords”

Primaël-Marie Sodonon
5 min readOct 14, 2020

“Changement climatique”, “développement durable”, “énergies vertes”, “mobilité durable”, “environnement”, “écologie”, “éco-responsable”, “écoénergétique”.

Tout autant de termes que l’on entend souvent employés dans les discours et débats liés à la condition de notre planète et à nos responsabilités vis-à-vis de cette condition. Tous ces mots sont chargés d’une invitation à ce que nous adoptions les bons comportements afin d’entretenir notre planète et de nous assurer de son maintien pour les quelques milliers d’années à venir où l’homme y sera encore. Ces mots ont des significations originelles; ils ont été énoncés et proposés par des experts et théoriciens des sciences naturelles ainsi que des sciences humaines. Ils posent des mots sur les périls auxquels la planète fait face et qui sont en grande partie la conséquence de l’action humaine ; principalement la surconsommation et surexploitation des ressources naturelles que la terre peut produire : végétation air, eau, matières premières. Aujourd’hui cependant, ces mots se retrouvent plus fréquemment dans la bouche des acteurs politiques et économiques plutôt que des professionnels et experts de l’environnement.

Lorsque j’étais en classe de 6e, les mots que j’ai reçu de ma professeur de sciences de la vie et de la terre, madame Odile Haribou avec son bel accent chantant du sud de la France, me sont restés jusqu’à aujourd’hui : “L’angvironnemang c’est le milieu dang lequelleu nous vivong!”. Aujourd’hui l’environnement c’est tout autre chose. C’est un mot de coloration verte utilisé par les acteurs précédemment énoncés pour se dédouaner de leur actions et politiques. Il en est de même pour les autres termes. Purgés de leur sens premier, ils sont devenus des jolies expressions qui sonnent bien, propres, et honnête afin de toucher les individus au niveau affectif. Une quelconque initiative “durable” et “écologique” a quelque chose de rassurant auquel on peut faire confiance, même si les personnes qui énoncent ces principes sont absolument incapables de les définir.

Économie de la Durabilité

La définition originelle du développement durable est la suivante : “le développement durable suppose la capacité pour les générations actuelles de subvenir à leurs besoins sans pour autant compromettre la capacité des générations futures à subvenir aux leurs”. Je mets au défi n’importe quel chef d’entreprise qui se veut durable ou n’importe quel politicien qui emploie cette expression de pouvoir la définir spontanément. Aujourd’hui toutes les entreprises ou tous les politiciens se veulent des champions des initiatives “durables” ou “environnementales”. Or force est de constater que la taille des logos verts est inversement proportionnelle à celle des investissements dans des réelles initiatives en faveur de la protection des milieux naturels. Pis, des entreprises dont la mission va directement à l’encontre des intérêts environnementaux collectifs affichent effrontément leur label “vert” et “durable”. Pétrolières et fabricants automobiles, subventionnés à coup de milliards de dollars par les États, affichent fièrement leurs ambitions “éco-énérgetiques” et “durables” (mobilité durable, mobilité verte, zéro émission) lorsqu’ils figurent parmi les premières causes de pollution de l’air, des océans, et des terres d’où sont extraits les matières premières.

L’industrie automobile en est peut-être l’exemple le plus frappant. Mode de la conscience environnementale oblige, elle a dû répondre à la demande populaire de la clientèle et donc proposer des produits plus moralement acceptables aux yeux des consommateurs : les flottes de véhicules électriques et intelligents. Électrique, zéro émission, zéro pollution, préserve l’environnement, approuvé et sponsorisé financièrement par le gouvernement, vous pouvez donc rouler la conscience tranquille. Vous contribuez à maintenir un air pur et, comme votre véhicule électrique vous a coûté cher, vous avez consenti un sacrifice pour notre environnement. Bravo. La société vous applaudit. Le gouvernement qui finance ‘l’électrification des transports dans une perspective de développement durable” vous applaudit. Vous êtes un bon citoyen, et votre geste à long terme aura un impact positif sur les générations futures. Le ciel est bleu, la campagne verte, les oiseaux s’abreuvent dans les gouttes d’eau pure rejetées par votre véhicule propre.

Oui, grâce à vous les petits français, canadiens, américains et suédois grandiront avec de l’air pur et des belles rivières fraîches.

Pendant ce temps…

Pour les autres l’histoire sera un peu différente et ressemblera plutôt à ceci :

C’est un secret de polichinelle que les matériaux composant les batteries et les ordinateurs de bord des véhicules intelligents et électriques ne sont extraits ni en France ni aux États-Unis ni en Suède. La chaîne de production de ces véhicules commence au Congo dans le Kivu où se joue actuellement l’un des pires drames de l’histoire moderne.

Il est à la fois très connu et dissimulé que l’extraction de ces matériaux rares (cobalt et coltan) cause de sévères impacts sur les écosystèmes naturels (utilisation de produits chimiques et pollution des terres et cours d’eau), et génère de terribles drames humains (asservissement des populations, travail forcé, assassinat, exploitation des enfants). Il s’agit d’une réalité qui participe directement à la chaîne de production des outils de mobilité si fortement encouragés et sponsorisés par les gouvernements des pays développés. En somme chaque véhicule électrique, en partie financé notre gouvernement, contribue à l’extraction de ces matériaux, dans des conditions plus que troubles.

À qui profite donc le “développement durable”? Quelles générations futures sommes-nous en train de préserver? Pourrions-nous tolérer de pareilles externalités négatives en Amérique du Nord ou en Europe? Peut-être devrions-nous parler de “développement durable localisé” car il ne profite certainement pas à l’humanité mais juste aux plus nantis d’entre nous.

Ce sont des troublantes vérités qui davantage que nous déranger en nous-mêmes, perturbent davantage l’ordre économique des choses. Ce sont des industries qui valent des milliards de dollars, des centaines de milliers d’emplois et qu’on ne peut donc mettre à risque.

Il faut donc faire semblant que cela n’existe pas et que nous vivons dans un monde plus vert, plus durable, eco-friendly.

On fait comme avec les mendiants que l’on croise dans la rue, si on ne les regarde pas il n’existent pas et notre monde continue à tourner rond et vert.

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Primaël-Marie Sodonon

Beninese-Canadian Geographer, Urban planning thinker and environmental critic. Just because people do sh*t, doesn’t mean it’s the right way to go. Fr/Eng ^_^